La Lumière des Césars
Poursuivant une œuvre littéraire personnelle et cohérente, Frédéric Vallotton publie chez Hélice Hélas La Lumière des Césars. On retrouve son ton, raffiné et original, ses mots-thèmes qui reviennent en boucles, comme une litanie, l’adéquation naturelle de termes populaires aux mots précieux et délicieusement passés de son vocabulaire.
On retrouve aussi les sujets et les obsessions de l’auteur (appartenance au monde, errance, introspection et individuation), une atmosphère nostalgique et cynique ainsi qu’une culture, qu’il chérit par-dessus les autres, germanique.
Après avoir passé, tour à tour et simultanément, par l’autofiction, le récit historique, le tourisme initiatique, le blog littéraire ou encore l’essai (Appel d’air, My Life is a Soap Opera, La Dignité, Mémoire d’un révolutionnaire, Tous les états de la mélancolie bourgeoise, Canicule Parano), Vallotton s’empare de la science-fiction avec La Lumière des Césars.
Steeve est un homme au destin médiocre. Il vit à Lausanne, rate une carrière dans la police et se retrouve videur dans des boîtes de nuit, observateur désabusé d’événements misérables. Sa vie de famille ne vaut pas mieux et il sombrerait dans le néant d’une vie inaccomplie s’il ne rêvait pas régulièrement d’un autre monde.
Un phénomène d’absorption réciproque unit Steeve et cet autre monde, baptisé Oméga (le sien – le nôtre – est Alpha). Il se trouve qu’en Oméga vit Steve, son double, au destin radicalement différent.
Progressivement, Steeve maîtrise les arcanes qui lui permettent de se déplacer en Oméga, pour observer d’abord, puis exister, agir.
Oméga se distingue d’Alpha à partir d’une rupture historique qui voit l’empire des Habsbourg dominer le monde (et non s’effondrer suite à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et la Première guerre mondiale). Le monde parle allemand, y compris à Neu York, aux Etats-Unis du Mexique et une catastrophe a littéralement noyé la moitié de l’Europe occidentale.
Les mondes parallèles et l’urchonie sont des topos de la science-fiction : citons, parmi les classiques, Le Maître du Haut-Château de Philip K. Dick ou, plus populaires, la série Shades of Magic de V.E. Schwab ou la série-télé Fringe. Vallotton en est conscient, amateur du genre. Avec La Lumière des Césars, il s’empare du thème uchronique avec toute sa personnalité et son originalité, celle qui fait l’œuvre dont on parle en préambule. Le lecteur ne peut en aucune manière se balader en dilettante entre et dans les univers de Vallotton ; la duplicité (au sens de l’état de ce qui est double) fondamentale de son récit et les ambiguïtés qui en découlent, les passages, par des méthodes variées, de Steeve à Steve et dans l’autre sens, exigent une attention particulière : on se plonge dans cette histoire pour en saisir les ficelles. Car Vallotton, qui aime se balader, se perdre et se retrouver, pratique les digressions et joue avec les niveaux de langage, comme avec ses personnages ; ceux-ci sont nombreux (deux fois plus nombreux…) et se soumettent aux diktats du narrateur omniscient et joueur. Par conséquent c’est sur autant de vagues variées et jubilatoires qu’il faut surfer, entre les considérations métaphysiques des héros paumés, les sentiments amoureux et les réflexions sur l’Histoire.
Bien plus qu’un « simple » livre de SF, La Lumière des Césars est, « simplement », une métonymie essentielle de l’œuvre vallottonienne.
Juin 2021
296 pages
14.5×18.5 cm
ISBN : 978−2−940522−93−4
24 CHF /20 €